Le village global
A l’hôtel, en lisant les premières pages de Bouvier, même pas L’usage du monde, hein, juste Le vide et le plein, ses carnets du Japon, je me rends compte que son journal est plus brillant que bien des livres qui sortent aujourd’hui.
Il pleut sur les pavés du centre ville et, du café, je vois passer les groupes, chaussures de montagne pour aller au musée-qu’il-faut-avoir-vu et capes de pluies sur sacs à dos. Horde bariolée de nains guerriers sortis de Warhammer. Bouvier sur mes genoux. Bouvier qui sillonne le monde en cargo avec sa femme enceinte et son jeune fils. Qui va jusqu’au Pakistan en Fiat Topolino serait bien affligé de nous voir courir les adresses du Routard.
On ne croise plus de voyageur explorateur, exceptionnel, curieux, seulement des idiots qui veulent voir tout ce qu’il faut voir. On fait en une semaine la synthèse aseptisée de ce qu’on connait déjà, mélange dégoutant de reportages, récits d’amis, articles survolés, cartes postales de vieilles connaissances, lien hypertextes cliqués par hasard, beaux livres trouvés sur une table basse.
Nous arrivons trop tard. Passifs et dépités. Épuisés. Zara et H&M et Burger King sont partout et on se réjouit comme des enfants de ne pas trouver un seul Starbucks dans toute la ville. Tout ce qui était vieux est maintenant « authentique ». Tout ce qui était ringard est désormais branché. Un air de Brooklyn souffle sur le monde entier de la rue des Vinaigriers à Hongdae. Le délabré est vintage, le béton ciré est par terre et le design suédois sous une moulure belle époque nous fait nous sentir chez nous partout.
Et pour finir de se rassurer, pour bien éviter toute surprise, toute distance, on trouve des ressemblances avec tout. Tout ce qu’on connait déjà. Familier. Les marches qui descendent vers la mer rappellent la rue du Mont-Cenis et ces après-midi où, au milieu des touristes de Montmartre, on prend conscience qu’ils ne voient jamais vraiment Paris, comme on ne voit jamais vraiment l’ailleurs. Un échafaudage ressemble à un torii japonais. Un village de pécheurs rappelle le Brésil et un square bien coiffé, l’Argentine, même si on n’y est jamais allé. Et la ville rappelle une autre ville qui déjà convoquait d’autres souvenirs.
Alors maintenant, quoi. Qu’est-ce qu’il nous reste. Quelles aventures sont encore à vivre. Le voyage intérieur comme dernière terre d’exploration et l’autre, seule découverte encore possible, peut-être…
J’aime beaucoup ce texte. Mais il est encore possible de sillonner le monde (ou ce qu’il en reste) en cargo, vélib’ ou Topolino, si l’on veut. Le pire, c’est qu’il y a tout un dossier du Routard dessus. Et je suis sûr qu’il reste des voyageurs explorateurs cachés dans la foule. Mais si Deborah en croisait un, lui parlerait-elle ?