(Ils s’aiment) à l’arrière des taxis


 

A l’arrière d’un taxi, je n’aime pas grand-chose. Ca sent le chien d’aveugle qui est assis à la place du mort, l’espace d’un instant je me demande si le chauffeur voit quelque chose.

Ca n’a pas d’importance si mon chauffeur est aveugle, moi à l’arrière du taxi, je vois.

« C’est un truc de pervers. » C’est ce qu’il m’a dit. En même temps, pour lui tout est pervers. Et plus c’est pervers, mieux c’est. Si ça, c’est pas une perversion.

Ca m’a fait réfléchir quand même qu’il me dise ça. Qu’il me dise, « moi aussi j’aime bien, mais c’est un truc de pervers ». D’abord j’ai dit que non, que c’était pas du tout un truc de pervers. Et puis après j’y ai repensé. Là, assise, avec tous ces gens. Pervers, ce n’est pas le mot que j’aurais employé, mais c’est peut-être juste une question d’habitude langagière. C’est vrai que très vite, j’ai compris qu’il y avait quelque chose de particulier. Le bien que ça me procurait. L’aspect thérapeutique de la chose. Il n’y a que ça pour me détendre, me calmer. Voir.

Je ne suis jamais à l’arrière d’une voiture dans Paris. Déjà, je ne suis jamais dans une voiture à Paris. La seule fois où j’étais dans une voiture à Paris, c’était une voiture pour ego tellement gros qu’il n’y avait même pas de place arrière. Et puis dans le bus on est trop surélevé, on regarde les gens de haut. En même temps, moi, j’ai pas besoin d’être dans le bus pour regarder les gens de haut.

Je vois les moulures peintes au plafond d’un premier étage. C’est quoi, c’est turquoise ? C’est joli. La ville est vivante, pleine de gens, de beaux garçons, de pantalons ajustés, de cigarettes fumée au balcon, en étage élevé. Dans le taxi, j’ai envie de me mettre à fumer, et pas seulement parce que c’est devenu interdit partout. Parce que je veux me consumer, comme la ville. La ville mutante, qui respire, qui accueille des objets venus d’une autre planète. C’est quoi toutes ces petites diodes vertes, rouges, tous ces vélos alignés comme des armées venues d’ailleurs. La ville est pleine de promesses. Ce soir, pour la première fois. Ce soir je suis une touriste. Je donne une adresse au hasard à mon chauffeur aveugle.


Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *