Freak show chic


 

« A une approche chronologique, thématique ou académique, l’exposition a préféré offrir un parcours dont les œuvres sont elles mêmes le fil conducteur du regard du spectateur. » Ah bon.

« De ce fait, les images singulièrement puissantes de Diane Arbus sont accompagnées seulement des titres donnés par l’artiste. Dans les salles, le visiteur qui souhaite examiner attentivement les photographies le fera uniquement à travers le prisme d’une expérience individuelle. »

Nous voilà prévenus. Les photos seront là, pour nos yeux, amassées mais isolées, et nous n’y verrons que ce nous voudrons bien y voir. Que ce qui résonnera en nous. Mais n’est-ce pas finalement tout le temps comme ça ? Même avec des notes d’intentions, des cartels développés, des feuilles de salles, au final, on voit dans une œuvre ce qu’on veut bien y voir. Ce qu’on peut y voir.

Dehors, il y a la queue. Pas beaucoup, mais un peu quand même. En pleine semaine. En pleine après-midi. Il y a la queue. Il n’y a bien qu’à Paris où les expos affichent complet pendant les heures de bureau. A l’intérieur il y a la queue. On marche, les uns derrières les autres. Les tirages sont de petite taille et il faut s’en approcher pour bien les voir, bien lire les titres, les seuls indices. A la queue leu leu on passe d’une photo à l’autre. Les murs sont gris. Les murs sont blancs. Un bébé pleure dans une salle. Un enfant se roule par terre dans une autre. Dans la première salle, un groupe d’adolescentes aux bouches scintillantes d’appareils dentaires se moque d’une femme en photo qui ressemble à Amy Winehouse, plus loin, un couple d’intellos-rive-gauche rivalise de citations apprises par cœur pour qualifier les clichés devant lequels ils s’arrêtent des heures. C’est ici que Diane Arbus aurait du venir faire des photos.

Après tout, nains, trisomiques, travestis, Diane Arbus prétend vouloir « photographier tout le monde ». Pourtant, c’est le monde en creux qu’elle photographie, « tout le monde » qui n’est jamais photographié. Jamais vu. Dissimulé. Dans une litanie visuelle, des centaines de visages, anonymes, à la marge, morts, s’alignent, muets, comme un catalogue de freaks, la représentation d’une autre Amérique, négatif de l’Amercain Dream.

Mais entre une famille le dimanche, un camp de vacances pour attardés mentaux et de vieux nudistes, plane toujours la même question. La question de l’art. De la photographie comme art. Format carré, portrait de face, plutôt rapproché, Diane Arbus tente de capter l’humain, le réel. Mais alors les Russian midget friends in a living room ne seraient-ils pas les véritables artistes de l’exposition, plus que la photographe elle-même ? Artistes du réel car c’est chaque jour, chaque instant qu’ils performent leur vie.


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