En pension complète


 

Quand j’arrive, la file d’attente est déjà grande. Au Mk2 Beaubourg. Faut dire, ça ne se joue que dans deux salles à Paris. Je me glisse dans la file. Je suis la seule fille. Quand la salle sera pleine, nous serons quatre. Etre entourée d’autant de garçons ça ne devrait que me plaire, si ça n’entrait pas d’une façon si amère en résonance avec le film. Week-end. Weekend en anglais.

Ils sont mignons. Tous les deux. L’un avec son air de Ryan Gosling et sa voix sublime, l’autre avec son regard de petit animal triste et son sourire enfantin. Deux garçons. Deux beaux garçons. Qui se rencontrent. Une rencontre. Unique et universelle. Universelle car la tension, l’inconnu, l’excitation, les discussions jusqu’au lever du jour, l’électricité physique, la gène, l’envie. Universelle pour toutes ces sensations, ni genrées, ni sexées, juste humaines. Et unique parce que chaque rencontre est unique. Et parce qu’on n’a jamais vu, au cinéma, une rencontre comme ça.

Vous me direz, il y a eu Brokeback Mountain que plein d’hétéros ont a-do-ré. Evidemment, c’est un film d’hétéro. C’est une fiction dans la fiction, où on joue aux cow-boys et aux gays. Un film faux. Un film normé. Un film homophobe.

Dans Week-end, Glen, militant, hyperactif, écorché semble parler de la salle 2 du Mk2 Beaubourg quand il dit que les hétéros ne viennent pas voir des œuvres d’art sur les relations homos parce que ce n’est pas leur univers. Pourtant Titanic, Pourtant Coup de foudre à Notting Hill, pourtant Roméo et Juliette, pourtant tous les jours, les homos doivent subir l’hétéro fascisme dans la culture, et ailleurs. Comme les jeunes filles se construisent en rêvant de Leonardo DiCaprio se noyant (par amour ou par bêtise), à quel blockbusters peuvent s’identifier les jeunes garçons qui s’intéressent aux garçons ?

« Ca ne me tente pas, comme ça ne me tenterait pas d’aller voir un film sur un couple hétéro » me dit un copain qui a pourtant le DVD des très médiocres Noces rebelles. Mais il n’y a pas de film sur un couple hétéro. Pas comme ça. Parce qu’il n’y a pas dans un film hétéro les insultes quand les héros s’embrassent sur un quai de gare, les sous-entendus quand ils rient un peu trop fort dans un bar, les blagues de mauvais goût avec les collègues de bureau. Il n’y a pas dans un film hétéro la rencontre dans toute son acception, entre beauté, gravité et réalité.

Il y a dans Week-end des images simples, touchantes que pourtant on ne voit jamais, qu’on ne veut pas voir. Des garçons. Qui s’embrassent. Des garçons qui font l’amour. Je vois quoi, trois, quatre films par semaine et si on y trouve de plus en plus souvent un personnage secondaire gay, pour remplir les quotas, je n’avais jamais vu ça. Des homos qui sont les personnages principaux d’un film sensible, qui ne sont ni des folles ni des dépravés. Juste des garçons. Des garçons qui s’embrassent.

Un baiser tragique et plein de promesses. Un baiser de cinéma. Un vrai baiser.


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