Va-t-il pleuvoir dans l’heure à Paris ?
Par la fenêtre, le ciel. Les gouttes de pluie sur la voiture ont disparu. Maintenant ce sont les nuages, rapides, qui passent et laissent par moment le soleil frapper les immeubles modernes. La consternation. Pas tout le temps. Mais parfois, souvent, dans mon entre-sol, dans mon grand bureau de ministre, dans la solitude de la vie de bureau, je regarde le ciel et tout devient évident. Les heures passées ici. Mes heures, de ma vie. Volées. Perdues. Inutiles. Les mails, les courriels formels, les télégrammes, les câbles, les notes, les comptes-rendus, les retex, les power point, les présentations, les brouillons, les tableaux excel. Tout ce rien dont on se remplit mais qui rend encore plus vide. Qui expose mon vide à mes propres yeux. Ces heures, mes heures, gâchées, le temps, perdu. Le travail.
Dans le couloir, sur la moquette silencieuse, on sourit quand je dis « aliénation », on n’oublie jamais de critiquer « les assistés » et on m’assure qu’on ne quitterait pas son boulot même si on se trouvait un mari milliardaire. Là, c’est moi qui souris. C’est dit comme une fierté, moi je trouve ça juste triste. Triste d’avoir besoin d’être là pour exister. Pour donner un sens à sa vie. Alors qu’ici, rien n’a de sens.
Derrière la vitre blindée Vigipirate alerte attentat le bleu du ciel. Tellement bleu maintenant. Un bleu surréaliste, tangible. Intense. Ce bleu. Quel bleu.
Je n’arrive plus à taper sur mon clavier, le téléphone sonne et je regarde bêtement le nom s’afficher sur l’écran. Les mails s’empilent dans Outlook. Je ne sais pas ce que je fais là. Ce matin, en réunion dans une salle aveugle, j’ai presque oublié un instant cette sensation et les heures ont passé, comme ça, jusqu’au déjeuner mais là, là je ne sais pas. Je ne peux pas. Les dossiers sur mon bureau, les demandes TTU et les drapeaux assignés aux messages en attente de réponse. Je regarde le ciel. Il n’y a plus que ça à faire.
Dans mon bureau, le froid est gris, presque humide et la main qui tient la souris, blanche, engourdie. Ctrl + Alt + Suppr, je verrouille ma session. Je parle à mes collègues, les personnes avec qui je passe le plus de temps, chaque jour. Le plus de temps. Le plus de temps. Ça aussi ça les amuse, comme s’ils ne s’en étaient jamais rendu compte avant. Allers-retours à la bonbonne d’eau, à la photocopieuse, à la déchiqueteuse, à la cantine, qui délimitent géographiquement le vide. Bientôt l’heure d’aller pointer. Déjà, la journée est finie. Perdue, elle aussi.
Ctrl + Alt + Suppr.
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