Noir et blanc et alezan
C’est rude. C’est drôlement rude. Surtout la première heure et demie…
Bien sûr, il y a cette scène d’ouverture magnifique d’un cheval dans le brouillard, qui avance face au vent, le poil mouillé, la respiration difficile. Alors là, on est content. On est content de retrouver le noir et blanc copyright Béla Tarr. Contrasté. Profond. Mat. Tellement réel qu’on se demande si la vie est vraiment en couleur. On est content de ce plan séquence, de cette petite musique déjà familière, on est content.
Et puis ça se gâte. Ca se gâte jusqu’à l’insoutenable. Ok Béla, on a compris, ils ont une vie pourrie. Tous les jours, ils font la même chose. Pas besoin de filmer leurs moindres gestes en temps réel. Au premier rang du Mk2 Beaubourg, le temps s’écoule encore plus lentement que dans le film. Les ronflements dans la salle rythment les plans interminables et muets. J’ai envie de me crever les yeux avec une cuillère en plastique.
Pourtant. Pourtant il se produit quelque chose. Pas dans le film. En moi.
Chaque moment qui se répète, chaque jour, est filmé, intégralement, sans coupe, sans que la caméra ne quitte un instant les protagonistes. Pourtant, chaque jour, le plan est légèrement différent. Chaque jour, il est beau, maîtrisé, parfait et chaque jour il est autre. Chaque jour, se révèle un nouvel aspect de la scène, celle que l’on voyait dans l’ombre, de dos, fait maintenant face à la caméra, muettement, toujours. Le cheval, comme un symptôme de l’apocalypse nous fixe de son œil humide et vide avant de disparaître dans le noir de son étable. Je suis fascinée, hypnotisée, happée.
Comme pour nous récompenser de ne pas être encore mort, un voisin prophète vient annoncer la fin du monde et repart avec de la gnole locale. Il n’y aura pas vraiment plus d’action, si ce n’est le passage éclair de quelques tziganes voleurs, comme pour nous montrer que la fin du monde est bien en marche. Tempête, puits asséché, tziganes, ça sent la fin.
Un arbre mort, fouetté par les vents incessants, une carriole branlante sur l’horizon, le poids du monde. Chaque plan est un tableau. Chaque plan, millimétré, puissant, total, est un plan final. Plan de fin de film, de fin de carrière, de fin des temps. Et c’est déjà fini.
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