Basé sur un malentendu

Ca commence toujours pareil. Based on a true story. Basé sur des faits réels. Inspirés de faits réels. Based on true events. D’après une histoire vraie. J’ai même vu : based on a true declassified story.

Comme le cinéma a pris gout aux adaptations, sequels, prequels et autres reboots (voir ces infos édifiantes), il a pris goût à « l’histoire vraie ». Alors oui, il y a ça. Il y a l’évident manque d’imagination des batteries de scénaristes d’Hollywood, qui prennent de moins en moins de risques avec les millions de dollars en jeu. Il y a ça, donc, mais pas que. Il y a aussi notre penchant inavouable pour les faits divers, parce qu’un film sur une mère qui tue ses enfants, soyons honnête, ça fait toujours plaisir.

Pendant la projection poussive de Compliance, un type derrière moi a marmonné dans un soupir : « c’est tellement pas crédible, ça ». Il avait raison, c’était dur de croire à ce qu’on voyait. Pourtant, le film, immanquablement, commence par un based on true events barrant tout l’écran. Cette mention, c’est la caution du film. Et c’est même, pour certains, leur seule raison d’exister. Personne n’aurait acheté une fiction dont le pitch était : huis clos dans la remise d’un Wendy’s, une fille est accusée d’avoir volé de l’argent à une cliente. Par téléphone, celui qui prétend être flic ordonne qu’on la déshabille et qu’on lui donne la fessée, tout le monde s’exécute sans broncher. Fin.

Evidemment, on aurait dit que ce n’était pas réaliste, qui serait assez bête pour… Mais lire cette histoire dans le Cincinnati Post la valide : elle s’est produite donc elle peut être racontée. Avec ce simple « basé sur des faits réels », le public, en sortant de ce film plutôt raté, n’osera pas dire que c’est nul parce que c’est « vrai ».

Mais vouloir absolument des histoires vraies pour amplifier la portée des films de fiction, c’est nier la fiction. C’est nier l’histoire qui vaut pour elle-même, qui vaut pour la façon qu’on a de la raconter. C’est nier toute la créativité et l’imagination des artistes et des écrivains. Quand on me raconte une anecdote incroyable, exactement comme on raconte des histoires aux enfants avant qu’ils s’endorment, la véracité de l’évènement est bien secondaire. Ce qui compte c’est comment il est relaté. Et le simple fait d’être -bien- raconté, le fait exister.

Mais le label true story c’est aussi, et avant tout, une excuse pour une mauvaise histoire : ce n’est pas mon scénario qui est bancal, c’est la vie. Pourtant, c’est un mensonge et le label autorise tous les débordements. « D’après une histoire vraie » ne veut évidemment pas dire que le film raconte l’histoire vraie dont il est tiré, et puisqu’on aime dire que la réalité dépasse la fiction, n’importe quelle fiction ressemble forcement à une « histoire vraie » qui a eu lieu, une fois, quelque part.

Je repense, subitement, au film The Fighter. Une histoire banale de white trash tarés, de famille déglinguée, de vies gâchées, une histoire banale, quoi. Mais basée sur des faits réels, comme si ça nous apportait quelque chose de savoir que ces losers existent dans la vraie vie. Basée sur un énorme mensonge, plutôt. Parce qu’au casting, en plus des femmes obèses et choucroutées, on a Mark Wahlberg, le Marky Mark des NKOTB gonflé aux hormones et Christian Bale, amaigri et ravagé. Et justement, parce que c’est Christian Bale, le based on a true story ne fonctionne déjà plus. Bale, c’est Patrick Bateman pour certains, mais surtout c’est Batman, pour tout le monde. Alors le paumé, drogué qui a la même tête que Bruce Wayne le milliardaire, on est carrément dans la fiction. Et la scène finale (à ce sujet, voir mon excellent billet sur les scènes finales) où l’on voit les deux frères dont le film s’inspire est édifiante : ce sont deux ploucs aux visages ingrats qu’on ne voudrait même pas croiser au diner du coin… Franchement, pour ce qui est de l’empathie ou de la fascination, on est loin du compte.

Un documentaire qui porte le regard d’un réalisateur est déjà une fiction alors, vouloir faire de la fiction un documentaire du réel…


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