Dans Paris

Il est à peine 17h mais le ciel est déjà sombre, courtesy Vichy pour cette heure d’hiver qui fait commencer la nuit en plein milieu d’après-midi. Je passe Stalingrad et remonte l’avenue. A deux mètres, peut-être trois, une détonation accompagnée d’un éclair, une étincelle. Je me demande si c’est le bruit que fait un coup de feu. Je n’ai jamais entendu de coup de feu, dans la vraie vie. J’ai entendu mille fois des coups de feu dans les films hollywoodiens, dans les séries policières allemandes. Je sais que les mecs cools ne regardent pas les explosions, tout ça. J’ai même entendu des coups de feu de non-fiction, tous les jours aux infos, avec les guerres interminables, les tueurs forcenés ou les policiers zélés. Mais la distance, le délai, la caméra, rendent forcement le son irréel. Et je n’ai jamais entendu un coup de feu dans la vraie vie.

Le bruit est fort, tonitruant même, pas un bruit de pétards que les enfants enfoncent dans les grenouilles pour les voir exploser. Et la lumière, impossible de savoir si elle vient de l’intérieur de la voiture, de sous la voiture, d’à côté de la voiture. Autour de moi, personne ne réagit vraiment. Pas de cri. Pas de panique. On continue de traverser quand le feu piéton est rouge. Et je repense à tous ces films où les personnes hurlent, les mains sur le visage, les yeux écarquillés au premier coup de feu. Où les filles se roulent par terre et se cachent derrière une poubelle ou sous un bureau. Et j’imagine que ce n’est pas le bruit qui fait peur mais la vue. La vue d’un pistolet même froid, même déchargé, effraie plus que la plus puissante des détonations.

Je n’ai pas arrêté de pédaler et déjà, je suis presque à Ourcq. Demain je lirai peut-être dans Le Parisien, accoudée au comptoir, règlement de compte dans le 19e arrondissement. Et si c’était un coup de feu. Et si c’était ça, le bruit d’un coup de feu. Mais je ne peux pas m’empêcher d’imaginer une fusillade ambiance Bronx ou Marseille, et plusieurs coups de feu, rapides, désordonnés, puis une voiture qui file dans des crissements de pneus et des effluves de poudre, de caoutchouc brûlé et de sang métallique.

Il fait tout noir maintenant. Magenta, Lafayette, les rues sont vides, et je n’arrive pas à savoir s’il est 18h, 23h ou 4 heures du matin. La piste est lisse et noire et brillante. Je roule sans bruit, aucun feu rouge pour m’arrêter. Le canal est vide mais pas encore gelé, le vent souffle dans mes oreilles et entre deux rafales, de vent, le silence du bitume et de la nuit. Et je me demande quel est le bruit de la mort.


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