Température ressentie
On les reconnaît. De loin. Dans l’uniforme de la marginalité. Du coin de l’œil en bus ou à vélo, mais il fait bien trop froid pour le vélo. Bien trop froid pour sortir de chez soi. Sous nos yeux, sur le trottoir. Ils sont là. Ils n’ont pas de visage. Comme des blocs immobiles. Tous pareils. Assis sur leur sac polochon, les genoux repliés sous des couvertures chamarrées, le corps enrobé de gilets mal tricotés, sortis des containers disséminés, le visage englouti par des écharpes sales. Et un bonnet pointu enfoncé sur la tête. Petites pyramides de matières synthétiques. Les seules choses à pousser sur le bitume gelé. Fleurs de misère. Adossées aux boulangeries, aux distributeurs, aux stations de métro. Gobelet Starbucks mille fois souillé, mâchouillé, secoué. Les plus élégants se drapent dans une couverture de survie scintillante comme une robe de réveillon. Ils n’ont plus de visage. Ils ne sont plus que des piles de pulls, de cache-nez, de manteaux élimés. Ils ont tous la même forme. Gros bras boudinés engourdis, dos arrondis, haleine de vapeur. Moufles ou mitaines. C’est à chaque fois le même. De loin. « Sans-abri ». Paquets de duvet, de vestes, de parkas. Assis sur ce qui leur reste d’affaires, oracles de la fin sans cesse reportée d’une société cannibale qui mange ses petits. Ils ne sont plus des personnes, ils sont des chiffres. Des acronymes. SDF. Sans nom, ils n’existent plus.
Par -5 degrés.
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