Nos mini vies minables

Souvent, les slogans publicitaires sont exactement l’inverse de la réalité, comme si le simple fait de les énoncer suffisait à les valider : la Fnac qui nous assurait être « certifiée non conforme » alors que la subversion de ce supermarché de la culture officielle m’échappe légèrement. Ou le « On partage plus que du cinéma » que scande UGC dans ses « ciné-cités » qui portent bien jusque dans leur nom l’aspect industriel et déshumanisé de l’offre.

Depuis les réclames, la pub ne nous vend plus seulement des objets mais aussi une meilleure qualité de vie. Avec ce lave-vaisselle, je m’affranchis des tâches ménagères, me dit-on, avec ce pantalon, je serai plus désirable. Acheter ne relève plus de la nécessité mais du confort. Ma vie sera meilleure avec ci ou ça. La voiture qui a un tiroir à la place de la boîte à gants, le yoghourt anti-cancer, le jus de fruit qui fait qu’on a plein d’amis. Ca me consterne, mais j’ai l’habitude.

Mais hier, au cinéma, je suis restée effarée devant la nouvelle pub pour la « Mini ». Tellement iconique, apparemment, qu’il n’est plus utile de préciser qu’il s’agit de la Mini Cooper. Avec la Mini, m’assure-t-on, je serai un être exceptionnel au destin exceptionnel, j’embrasserai à pleine bouche des hommes très amoureux et très romantiques, je visiterai des endroits merveilleux et encore inconnus, je m’amuserai comme une folle et surtout je serai une artiste.

Dans sa nouvelle pub, la Mini m’assure qu’en achetant cette voiture –comme si la voiture n’était pas le bien de consommation le plus conventionnel qui soit-, je serai unique. Hors norme. La Mini, dont le modèle de base (le moins exceptionnel) coûte déjà plus de 15 000 €, me vend du rêve, mais pas seulement. Dans sa pub, avant de me montrer à quel point ma vie sera passionnante avec elle, j’ai droit à trente secondes sur « la norme ». Dans ces trente secondes, tout est gris, plat, les gens sont légèrement moches et le pain de mie a de la croûte. En voix off, j’apprends que la norme est nulle. Que la norme est pourrie. Que la norme, c’est bon pour les chiens. Ainsi donc, ce n’est pas seulement que j’aurai une vie géniale avec une Mini et un crédit à la consommation sur 10 ans pour la financer, c’est aussi que pour l’instant, ma vie est merdique. Ma vie ne vaut rien.

Je résume, pour me faire débourser 15 000 € et avoir le privilège d’en être, Mini pense qu’il faut d’abord m’humilier et me rappeler à quel point rien dans ma vie -ma tête, mon look, mon boulot, mon mari- n’a d’intérêt. Mini choisit de m’insulter pour me séduire, technique de drague finalement assez classique qu’on voit souvent dans les comédies où un garçon critique une fille pour la rendre vulnérable et donc prête à tout.

Sauf que moi, j’aime être courtisée et à une voiture tellement tendance qu’elle est déjà démodée, je préfère mon vélib’ ubique et standardisé, comme tout le monde. Je ne dois vraiment pas être normale.


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