Biochimie – sang µU/ml : 0,86
« Le laboratoire a déménagé au numéro 21 de la rue ». Moi, stupidement, je me demande juste comment c’est possible, avec les prix de l’immobilier à Paris. C’est la seule chose qui me vient à l’esprit. Je me demande qui était propriétaire de l’ancien immeuble, ou de celui-là, ou si c’est le même proprio qui a les deux, voire toute la rue. Fauteuils en skaï blanc cassé. Personnes âgées. J’ai le ticket 99. Carte vitale. Asseyez-vous, on va vous appeler.
Dans mon fauteuil carré, profond et encore chaud de la petite vieille qui y buvait un café il y a deux minutes, mon cœur s’emballe. Un peu. Je n’ai pas peur des prises de sang. Même, j’aime ça, les prises de sang. Je sais que ça ne fait pas mal. Elastique serré autour du bras. Et je sais que, quand l’infirmière plantera son aiguille, je regarderai. Et je prendrai plaisir à regarder l’aiguille s’enfoncer dans ma peau devenue transparente, dans ma veine bleue, dans cette barrière molle et fragile. Me fondre dans le monde. Mon corps à ciel ouvert. Et je regarderai le sang jaillir. Et je prendrai plaisir à regarder le sang jaillir. Rouge. Beaucoup plus rouge que dans les films et tellement rapide qu’il y a comme de la mousse à la surface. Et je regarderai les tubes, certains plus allongés que d’autres et leurs capuchons de couleurs différentes. Et je prendrai plaisir à regarder ce sang, mon sang, hors de mon corps, partir vers je ne sais quelle centrifugeuse en sous-sol.
Pourtant, là, dans mon fauteuil en skaï blanc et comme à chaque fois que je dois faire une prise de sang, mon cœur s’emballe. Légèrement. Et mon intérieur coule. Un peu. Je coule en moi-même. Comme si tout ce que mon corps contient d’organes et de vaisseaux était soudain trop petit pour ma peau. Et mon cœur bat plus vite. Un tout petit peu plus vite. Il flotte dans ma cage thoracique. Et les sensations se superposent. Et je ne sais plus si c’est la prise de sang ou les souvenirs ou toi ou ce vide en moi. Et mon cœur s’emballe. Un peu.
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