Dans la boucle suspendue

Les portes se ferment sur Harajuku. Mon sac sur les genoux. Par les fenêtres du métro aérien, la ville sans limite.  Béton, carrelage, boutiques, escaliers de secours. Pourtant, c’est beau. Tokyo. Et le monde qui défile. Et puis la vibration caractéristique du message. Dans mon sac. Sur mes genoux. C’est toi. Ca ne peut être que toi. Personne ne m’écrit ici. Et puis à Paris, il fait encore nuit. C’est toi. C’est toi et personne d’autre. Cette vibration, rapide, qui se répète une seule fois, c’est toi.

C’est une étrange sensation. D’abord rien. Rien. Je ressens cette vibration, elle court dans mon ventre jusqu’à mon cerveau pour me dire que c’est toi. Et puis rien. Je reste immobile. Je ne pense à rien. Je n’exprime rien. Et puis mon cœur s’arrête, juste un instant, mon cœur saute juste un battement. Et puis hier défile. Hier et toutes les autres fois. Depuis notre première rencontre. Toi partout. C’est toi, c’est toi, c’est toi. Tout mon corps se contracte à l’intérieur de moi. Je suis molle. Je suis liquide. J’ai du mal à respirer. Je ne peux pas regarder. J’ai besoin de croire, de savoir, encore un instant que c’est toi. Je pourrais vivre toute ma vie là. Dans cet instant merveilleux où c’est toi qui m’écris. Je pense à ce qu’on va faire quand on se verra. Ce soir. Un autre soir. Quand tu veux. Où nous passerons la soirée. Ce qu’on va se dire, après tout ce temps. Déjà, je ne rentre plus et je reste avec toi. Là. Toujours. A Tokyo. Ce soir. Je serre mon sac un peu plus près de moi. Mais je ne l’ouvre pas. La ville à mes pieds. Elle n’est ni oppressante ni tentaculaire. Plus depuis aujourd’hui. Je sais que tu es là, quelque part et que tu penses à moi. A cet instant, ton message arrive, de l’autre bout de cette ville folle et tu penses à moi. Je n’ouvre pas mon sac. Pas encore. Je regarde les gratte-ciels. Le toit rouge et brillant d’un petit temple perdu au milieu de toute cette modernité électrique.

Dans le wagon, les gens sont impassibles. Ils ne savent pas. Ils ne savent pas pour toi. Ils ne savent pas qu’on s’est revus hier soir, croisés, presque bousculés. Pas très japonais comme attitude. Je n’ai pas trop su quoi te dire et tu m’as posé cent fois la même question et aujourd’hui, tu m’écris. Et aujourd’hui, là, maintenant, ton message est sur mes genoux. Et dans cet instant, immense et magnifique, où je sais que tu m’as écrit, il y a tout, il y a toi, il y a le monde entier, tout ce qu’on a vécu, tout ce qu’on va vivre, parce qu’on va se revoir, ce soir, un autre jour, toujours. Quand tu veux. Et je comprends que je n’ai toujours vécu que pour ce moment, furtif et vertigineux et qui a l’évidence des choses justes.

Le trajet est suspendu dans cette seconde où tout a basculé. Suspendu à mon sac. Je tiens mon sac un peu plus serré contre moi et je ne l’ouvre pas. L’infini est là, au creux de la petite poche de mon vieux sac délavé. Je n’ai pas besoin de lire ce message. Ton message. Pour qu’il rayonne dans toute la rame.

Shibuya. Shibuya. La voix de synthèse légèrement érotisée de la Yamanote line. Le métro s’arrête. Les gens se précipitent sans se toucher. Je regarde mon téléphone, c’est toi, ça ne peut être que toi. C’est Orange qui m’indique le prix des communications internationales.


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