En terrasse

En terrasse, les pieds nus reposent, chevilles croisées, sur des tongs Havaianas ou des mocassins en nubuck rive gauche. Les jambes velues dépassent allégrement des bermudas Uniqlo. On connaît les horaires. Du soleil. 12h-15h15, MM, 15h40-18h30, Odette, et pour le brunch du dimanche Corso ou n’importe quelle horrible chaîne à l’huile d’olive. En terrasse, on fume. Perrier rondelle, demis transpirants, glaçons gavés de mojito mal dosé.

Et puis le bruit, assourdissant. La guerre. Juste au dessus de Saint-Eustache. Procession de Mirages 2000. La première fois qu’ils passent, tout le monde s’arrête de marcher. En terrasse, les gens arrêtent de parler. Les jambes se croisent et se décroisent. Les mentons se lèvent. C’est juste une répétition. Il manque le bleu. Pourtant, il y a de la fascination pour ce son si particulier, annonciateur de mauvaises nouvelles.

En une seconde, le chantier des Halles devient N’Djamena, devient Misrata, devient Kandahar. Oh pourtant, on en prend des avions. Tous les jours, même pas peur. Les aéroports sont des centres commerciaux et le bruit des réacteurs disparaît sous les dialogues insipides des comédies romantiques américaines qui passent en boucle sur les petits écrans. Mais ces avions-là, on ne les entend jamais. Cette vitesse. Cette puissance. Qui convoque la guerre en plein Paris, pour préparer un jour de fête. Nationale, la fête.

« Tu crois pas qu’il l’annulerait cette connerie d’armée ». En terrasse. Je souris en entendant cette phrase mais pas que. Je mesure aussi toute la bêtise de ces avions Made in Dassault. Et quand le ciel se brouille légèrement sur leur passage, je ne peux pas m’empêcher de penser aux millions dépensés pour les faire parader trente secondes. Loopings célébrant la puissance virile d’un pays. Fête nationale, donc.

Rafales en meute.

Presque au ras des grues du trou des Halles et presque lentement, dans un bruit de vieux camions,  les gros avions de transport n’intéressent plus personnes. Comme la guerre, ailleurs, loin, dont on se lasse forcement.

En terrasse, on dit qu’on adore Paris au mois d’août, alors qu’on a déjà réservé ses billets pour le Club Med. Et que Paris au mois d’août n’est qu’une ville de province où les rideaux de fer sont baissés, comme à l’heure de la sieste dans la grand-rue. Les jupes courtes remontent sur les hanches et les chaises en métal, comme si c’était la plage, comme si c’était l’été, font des dessins sur l’arrière des cuisses. Robe bustier à fleurs. Vernis écaillé. Sandales en faux python.


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