The sound of silence

Je ne veux plus commenter l’actualité. Je ne veux plus écouter mille fois les mêmes remarques sur le fait divers du jour. Je ne veux plus entendre parler des Roms ou des mères infanticides. Je ne veux surtout pas commenter les sondages qui donnent le gouvernement au plus bas. D’ailleurs, maintenant, je refuse de parler politique. Tu n’arriveras pas à me convaincre de voter Sarkozy en 2017 et quoi que je dise, tu me prends pour une gauchiste assoiffée de sang.

Enfin, ce n’est pas l’opposition le problème. Si on est d’accord, ce n’est pas plus intéressant. « T’as vu / oui j’ai vu / j’adore / mais moi aussi j’adore trop », ou encore, « t’as vu / oui j’ai vu c’est nul hein / mais oui comme c’est trop nul ».

Hier encore, on parlait des otages. On parlait de la rançon (mais bien sûr qu’on a payé) (mais qui est ce « on » ?), on parlait du timing de leur retour (parfait pour nous changer les idées), on parlait de leurs têtes émaciées (ah bah, trois ans, forcement), on parlait de la situation en Afrique (la Françafrique, c’est pas fini, et les Chinois qui s’en mêlent). Et puis les otages revenus ont été remplacés par les otages assassinés. Et demain, on parlera d’autre chose. On parlera de Bill de Blasio. On parlera de Manuel Valls. On parlera des élections européennes. On parlera des frères Coen. On ne parlera de rien.

Si j’ai moins bu que vous, ce qui peut arriver maintenant que j’ai vieilli et que je rentre à vélo, ça devient carrément surréaliste. Parce qu’il faut toujours débattre. Il faut s’affronter sur des sujets sur lesquels nous ne changerons pas d’avis. Et il y en aura toujours un pour s’énerver à une terrasse chauffée parce que je ne comprends rien à son discours incohérent. Mais je comprends, seulement je ne contredis plus. Et c’est finalement ça le plus énervant.

Ou alors on parlera de Paris qui se gentrifie, comme si c’était un scandale. Comme si ce n’était pas nous les coupables. Ou alors on parlera des enfants. De ton fils qui est un génie, de leurs enfants qui sont mal élevés. On commentera l’actualité, seulement pas celle des journaux, celle des anonymes.

« Et il m’a dit, alors j’lui dis, alors y’m’dit. Non, mais j’hallucine. Alors j’lui dis ». Toute la journée, dans les transports, dans les cafés, au bout des kits mains libres, toutes ces vies qui se nourrissent de si petits riens. Qui se racontent et qui se vivent par le simple fait de se raconter. Ces moments qui existent juste parce qu’ils sont répétés. « Alors j’lui dis, ah non mais je te jure, alors y’m’dit, non mais j’y crois pas, quoi ».

Sinon, il reste toujours la « culture ». C’est bien la culture, pour bavarder. Mais la culture ça ne veut rien dire. Et puis d’ailleurs, ça ne marche même plus. Si tu veux juste me prouver que tu as regardé plein de films en noir et blanc, lu plein de livres compliqués ou vu plein de spectacles super pointus, ne te fatigue pas. Et de mon côté, je n’essaierai pas de te convaincre qu’il faut absolument aimer tout ce que j’aime (pas grand-chose) et détester tout ce que je déteste (tout le reste). Ca ne me gêne pas d’aimer dans mon coin des choses nulles. Et ça ne me gêne pas que tu aimes d’autres choses, autrement nulles. Tu peux avoir Bong Joon Ho, je garde John Carpenter. N’en parlons plus. Tant qu’on ne commente pas les Palmes d’Or et les Goncourt…

Alors quoi. On pourrait parler du temps. Mais le temps est un sujet trop brûlant. On risquerait de parler du redoux donc du vent donc de la tempête donc du réchauffement climatique donc des gaz de schiste.

Alors. Alors non vraiment, je ne sais plus faire la conversation.


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