Zero -Dark- Pointé

On parle souvent de Kathryn Bigelow comme d’une femme qui fait des films d’homme dans cet univers encore hautement masculin : l’armée, la guerre. Avec Zero Dark Thirty elle a fait un film long, plutôt ennuyeux et extrêmement mal joué mais mené par un personnage féminin omniprésent. Maya, bosseuse, surdouée, passionnée pourrait au moins être un bel exemple de la réussite d’une autre femme, là aussi dans un monde d’hommes : la CIA. Et pourtant.

Pourtant, ce personnage présente tous les clichés machos de « la femme ». Dès son arrivée en poste, Maya entre en guerre avec la seule autre femme qui travaille là, car 1. les femmes ne peuvent pas travailler ensemble. On la décrit comme une « killer » dans le travail, elle s’illustre surtout par des scènes d’hystérie pour obtenir ce qu’elle veut, car 2. les femmes sont capricieuses. Mais le clou du spectacle, reste la scène finale, hallucinante où cette femme-courage qui a traqué sans relâche Ben Laden, qui a convaincu jusqu’au président des Etats-Unis d’intervenir sur sa simple « intuition » (car 3. les femmes sont instinctives, comme des petits animaux), cette femme donc, pleure à chaudes larmes la fin des vacances au Pakistan, car 4. les femmes sont émotives. Mais heureusement, des crises de larmes au waterboarding, Maya garde toujours cette peau merveilleusement diaphane et les cheveux plus brillants que dans une pub L’Oréal (car 5. les femmes doivent être jolies)…

A part ça, Zero Dark Thirty n’est pas un film d’action. Ce qui n’est pas un problème, mais c’est un film de quoi alors ? Un film politique ? Non pas vraiment. Un thriller ? Encore moins, d’autant plus qu’on connaît déjà la fin. Un film qui « documente » le réel ? Comme un film de journalistes ? Comme un documentaire ? C’est bien ça le problème. Zero Dark Thirty est une pure fiction mais se drape des attributs du document, et par là même, écrit l’histoire. Mais attention, Zero Dark Thirty est tout l’inverse d’un documentaire. Zero Dark Thirty est un récit fictif centré autour d’un personnage fictif interprété par une égérie Yves Saint-Laurent qu’on croise aux abribus les mains pleines de peinture. Oui, mais pas seulement.

En ouverture, on nous précise que ce film est réalisé à partir de « rapports officiels » obtenus de « sources sûres ». Les guillemets ne sont pas de trop. Ce film, qui entend raconter l’histoire de la traque et la mort de UBL (comme ils l’appellent) est une mise en images d’une partie de la version officielle que les agents ont transmise à leur hiérarchie ! Ca rappelle gentiment la guerre des Malouines où les journalistes, parqués sur un bateau à plusieurs kilomètres des côtes devaient se contenter, quotidiennement, des rapports des militaires britanniques. Sans possibilité de vérification ou de contre-enquête.

Il est quand même amusant de voir que pendant cinq ans, tous ces génies de l’intelligence ont confondu un type vivant avec un type mort pour la simple raison « que barbus, ils se ressemblent tous » alors que Maya, émue aux larmes, identifie solennellement le corps de Ben Laden criblé de balles d’un simple coup d’œil. Ce grossier raccourci, indispensable au cinéma, n’est pas la transposition de la réalité. Tout comme ces interrogatoires / séances de torture qui, pour satisfaire le public américain fâché avec les sous-titres, se font dans un anglais parfait et truffé de bonnes réparties avec des suspects qui vivent pourtant depuis quinze ans dans une grotte afghane… Ce n’est pas une transposition de la réalité, c’est de la fiction. Ce n’est pas du documentaire. Ce n’est certainement pas du journalisme. C’est de la licence poétique.

Je ne dis pas que UBL n’est pas mort, ou qu’il n’est pas mort pendant ce raid nocturne, à vrai dire, je m’en fiche un peu. Je trouve juste très dangereux d’insinuer que, puisque ce film est écrit à partir de rapports « de première main » il raconte la vérité. Dans cent ans, dans les livres d’histoire (mais il n’y aura plus de livres d’histoire) quand on parlera du 11 septembre, je suis sûre qu’on montrera une photo de Jessica Chastain pour parler de la traque de Ben Laden.

Mais cette fictionnalisation d’une version probable d’un évènement probable (« probable jackpot » dit justement un Navy Seal après avoir abattu un vieux barbu) ne doit pas devenir la seule histoire possible.


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